Page:Taine - Carnets de voyage, 1897.djvu/130

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disent de gros mots. Quelques-unes sont belles, la plupart plantureuses et carrées. Des groupes serrés d’ouvriers, de matelots s’avancent, se bousculent. On boit, on fume, on crie dans la première salle. Cela ressemble à un pandémonium blafard et ignoble. Je n’ai rien vu de pis, sauf certaines rues de Liverpool. Mais ici, on sent en plus, au lieu de la misère froidement résignée ou abrutie, l’âpreté, l’énergie méridionales, et le besoin violent de jouissances, la révolte de l’homme enfermé trois mois, six mois dans un entrepont. — Quelques rues désertes, silencieuses, sans une porte ouverte, avec un seul fanal qui tremblote au fond et le ruisseau qui dégringole, fangeux, sont sépulcrales sous leurs ombres livides et dans leur immobilité. On dirait un dessin de Doré, une horrible vision après une peste, pendant le Moyen âge.

J’ai vu aussi ce quartier en plein jour ; c’est un fouillis de ruelles inaccessibles aux voitures ; on y monte par des sortes de marches. Des poules, des chèvres y vivent en liberté. — Les habitants, les femmes surtout, sont assises sur leur porte, vivent en plein air, crasseuses ; une