Page:Taine - Carnets de voyage, 1897.djvu/177

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pas bougé de Poitiers, sauf de bien loin en bien loin un petit voyage à Paris. Il est riche, sa famille a deux ou trois terres ; point marié, doux de ton, d’une politesse méticuleuse, d’une correction empesée, avec les savants ménagements de la province.

Il me conduit à Blossac, c’est la promenade : un grand terrain planté de charmilles hautes et épaisses, avec des terrasses d’où l’on voit le Clain et toute la plaine. À cette heure (neuf heures du soir), la ville a l’air d’une cité enchantée, la cité de la Belle au Bois dormant ; longue rue déserte sans une âme vivante, avec deux lumières qui vacillent aux deux extrémités ; tous les volets, toutes les persiennes fermés ; pas un bruit ; les grandes masses noires, bizarres et heurtées ont un air sépulcral. — Sur la promenade les hautes charmilles, dans le vague de l’air sans lune, bruissent imperceptiblement ; le ciel diamanté d’étoiles fait deviner des formes étranges dans la noirceur énorme qui tremble ou s’enfonce au-dessous des parapets ; on n’aurait pas l’impression d’une solitude plus grande dans une ville morte tout d’un coup, surprise