Page:Taine - Carnets de voyage, 1897.djvu/309

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lampe solitaire, allumée parmi les draperies noires tombantes, dans quelque prodigieux dôme de chapelle funéraire. À l’horizon, comme une procession de tombeaux et de torches arrêtées à une distance qui semble sans limite, paraît la côte noire, toute basse, dormante, et à chaque angle du catafalque deux ou trois lumières.

Silence extraordinaire dans le large canal par lequel on rentre. Pas une barque, pas un bruit de vent. Sur la nappe de l’eau immobile, les lumières lointaines de Cette s’allongent et remuent imperceptiblement. Ce calme de l’eau noire et luisante me remue jusqu’au fond d’horreur et de plaisir. À mesure qu’on approche, et que la bordure noire des maisons crénelle plus fortement le ciel, l’éclat admirable et calme de l’eau devient plus frappant, et bientôt la route n’est plus qu’une traînée de lumière blanche et molle entre deux haies de formes sombres. Quel contraste quand on se rappelle l’arrivée hier, le coucher du soleil au-dessus de l’étang poli comme une glace, l’embrasement de pourpre et d’ocre à l’horizon,