Page:Taine - Carnets de voyage, 1897.djvu/74

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à Strasbourg, toute la charpente du clocher est en fer, la pierre n’est qu’un revêtement. Voilà de l’art outré, faussé. La civilisation du Moyen âge est toute pareille, brillante et creuse.

Rien de sain, les disparates foisonnent. Le chevet est une sorte de pigeonnier recouvert d’ardoises. Plusieurs contreforts enjambent la rue, comme une patte de crabe luxée, pour soutenir une saillie. — Le dedans est beau, haut et mystique. Ce que j’ai le mieux senti, ce sont les vitraux. Le soleil du matin donnait dans les grandes fenêtres du chevet comme l’aurore d’une résurrection rayonnante ; les trois rosaces commençaient à étinceler ; la queue d’un paon n’est pas plus magnifique ; mais l’effet est tout autre, douloureux, violent. Ces couleurs parlent ; elles sont toutes excessives, jaune intense, écarlate, surtout violet foncé, la plus tragique des couleurs, celle qu’on doit voir dans l’extase.

Je me souviens d’un beau groupe à Poitiers, dans la nef droite de la cathédrale et qui doit être du XVe siècle, à peu près contemporain des premières statues de Solesmes. C’est un Ensevelissement : le Christ, avec sa grande barbe,