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PREFACE. V

doute il suffit d'un trait pour former une figure de géométrie ; mais il faut mille traits infiniment croisés et pliés pour former une figure humaine. Vous croyez dessiner un visage ; vous n’avez tracé qu’un rond ou un carré. »

Cela est concluant contre un critique qui voudrait peindre, mais non contre un critique qui essaye de philosopher.

Peindre, c’est faire voir, et c’est un emploi tout spécial que de faire voir les personnages passés. Si quelqu’un s’y efforçait, il faudrait qu’il eût été préparé à ce travail d’artiste par des études d’artiste ; qu’il eût été, dans sa jeunesse, romancier comme Walter Scott , et même poète ; qu’à ce titre il aperçût naturellement et de prime-saut les plus légères nuances et les plus fragiles attaches des sentiments ; que peu à peu le progrès de l’âge et les reploiements de la réflexion aient ajouté en lui le psychologue à l’artiste ; que la finesse française, la délicatesse parisienne, l’érudition du xixe siècle, l’épicurisme de la curiosité, la science de l’homme et des hommes, lui aient composé un tact exquis et unique. Ainsi doué et ainsi muni, il entreprendrait pour les lettrés et les délicats une galerie de portraits historiques. II glisserait autour de son personnage , notant d’un mot chaque attitude, chaque geste et