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L’ÉGLISE


il y manquait la charité[1], la faculté d’aimer autrui à l’égal, de soi-même, et d’aimer ainsi, non seulement quelques-uns, mais tous, quels qu’ils soient, par cette seule raison qu’ils sont des hommes, en particulier les humbles ; les petits et les pauvres, en d’autres termes la répression volontaire des appétits par lesquels l’individu se fait centre et se subordonne les autres vies, le renoncement « aux concupiscences de la chair, des yeux et de l’amour-propre, aux insolences de la richesse et du luxe, de la force et du pouvoir[2] ». — En face de cet ordre humain et par contraste, naquit et grandit l’idée d’un ordre divin : un Père céleste, son règne au ciel, et bientôt, peut-être demain, son règne ici-bas ; son Fils venu sur la terre pour y établir ce règne et mort sur la croix pour sauver les hommes ; après lui, envoyé par lui, son Esprit, le souffle intérieur qui anime ses disciples et continue son œuvre ; tous les hommes frères, enfants bien-aimés du même père commun ; çà et là, des groupes spontanés qui ont appris « cette bonne nouvelle », et la propagent ; de petites sociétés éparses qui vivent dans l’attente d’un ordre idéal et cependant, par anticipation, dès à présent le réalisent, « tous[3] n’ayant qu’un cœur et une âme, chacun vendant ses biens pour en apporter le prix à la communauté, aucun ne gardant rien en propre, chacun recevant de la communauté ce dont il a besoin

  1. Saint Paul, Épître aux Romains, I, 20 à 32. Première aux Corinthiens, ch. XIII.
  2. Saint Jean, Première épître, II, 16.
  3. Actes des apôtres, IV, 32, 34 et 35.


  le régime moderne, III.
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