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L’ÉGLISE


quand, après Théodose, il se détacha de l’Orient, il intervint, et il intervint avec sa langue, c’est-à-dire avec la provision d’idées et de mots que sa culture lui fournissait ; lui aussi, il avait ses instruments de précision, non pas ceux de Platon et d’Aristote, mais d’autres, aussi spéciaux, forgés par Ulpien, Gaïus et vingt générations de juristes, par l’invention originale et le travail immémorial du génie romain. « Dire le droit », imposer aux hommes des règles de conduite, voilà en abrégé toute l’œuvre pratique du peuple romain ; écrire ce droit, formuler et coordonner ces règles, voilà en abrégé toute son œuvre scientifique, et chez lui, au IIIe, au IVe, au Ve siècle, dans la décadence des autres études, la science du droit était encore en pleine pousse et vigueur[1]. Par suite, lorsque les Occidentaux entreprirent l’interprétation des textes et l’élaboration du dogme, ce fut avec des habitudes et des facultés de jurisconsultes, avec des préoccupations et des arrière-pensées d’hommes d’État, avec l’outillage mental et verbal qui leur était propre. En ce temps-là, les docteurs grecs, aux prises avec les monophysites et les monothélites, achevaient la théorie de l’essence divine ; à la même date, les docteurs latins, aux prises avec les pélagiens, les semi-pé-

  1. Sir Henry Sumner Maine, ib. « La différence entre les deux systèmes théologiques s’explique par ce fait qu’en passant de l’Orient à l’Occident la spéculation théologique avait passé d’un climat de métaphysique grecque dans un climat de loi romaine… La science de la loi est une création romaine. » De là les controverses occidentales au sujet du libre arbitre et de la providence divine. « La question du libre arbitre s’élève quand nous contemplons une conception métaphysique à un point de vue légal. »