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L’ÉCOLE


tiques ou laïques, pour les futurs ingénieurs, médecins, architectes, notaires, avoués, avocats et autres gens de loi, fonctionnaires, propriétaires, chefs ou sous-chefs dans l’industrie, l’agriculture et le commerce ; car l’internat est justement le contraire de l’éducation requise pour une carrière laïque et civile. De cet internat prolongé, ils emportent une provision suffisante de latin ou de mathématiques ; mais deux acquisitions capitales leur manquent : ils ont été privés des deux expériences indispensables ; au moment d’entrer dans le monde, l’adolescent en ignore les deux personnages principaux, l’homme et la femme, tels qu’ils sont et qu’il va les rencontrer dans le monde. Il n’en a point l’idée, ou plutôt il n’en a qu’une idée préconçue, arbitraire et fausse.

Il n’a point dîné, à l’ordinaire, auprès d’une dame, maîtresse de maison, en présence de ses filles et parfois d’autres dames ; le son de leurs voix, leur attitude à table, leur toilette, leur réserve plus grande, les égards dont on les entoure, la politesse ambiante, n’ont point tracé dans son imagination les premiers linéaments d’une notion exacte ; par suite, à l’endroit du ton qu’on doit prendre avec elles, il y a chez lui une lacune ; il ne sait pas leur parler, il est gêné dans leur compagnie, elles sont pour lui des êtres étranges, nouveaux, d’une espèce inconnue. — Pareillement, à table et le soir, il n’a point entendu des hommes faits causer : il n’a point recueilli les mille petites informations qu’un jeune esprit, en train de croître, puise dans la conversation