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LA PROPAGATION DE LA DOCTRINE


« sur les anciennes opinions et tire sa force d’elle-même. » Non seulement les privilégiés font les avances, mais ils les font sans effort ; ils parlent la même langue que les gens du Tiers, ils sont disciples des mêmes philosophes, ils semblent partir des mêmes principes. La noblesse de Clermont en Beauvoisis[1] ordonne à ses députés de demander avant tout qu’il soit fait une déclaration explicite des droits qui appartiennent à tous les hommes ». La noblesse de Mantes et Meulan affirme que les principes de la politique sont aussi absolus que ceux de la morale, puisque les uns et les autres ont pour base commune la raison ». La noblesse de Reims demande « que le roi soit supplié de vouloir bien ordonner la démolition de la Bastille ». — Maintes fois, après des vœux et des prévenances semblables, les délégués de la noblesse et du clergé sont accueillis dans les assemblées du Tiers par des battements de mains, « des larmes », des transports. Quand on voit ces effusions, comment ne pas croire à la concorde ? Et comment prévoir qu’on va se battre au premier tournant de la route où, fraternellement, l’on entre la main dans la main ?

Ils n’ont pas cette triste sagesse. Ils posent en principe que l’homme, surtout l’homme du peuple, est bon ; pourquoi supposer qu’il puisse vouloir du mal à ceux qui lui

  1. Prudhomme, ib., II, 39. 51. 59. — Léonce de Lavergne, 384. En 1788, deux cents gentilshommes des premières familles du Dauphiné signent, conjointement avec le clergé et le Tiers-état de la province, une adresse au roi où se trouve la phrase suivante : « Ni le temps, ni les liens ne peuvent légitimer le despotisme ; Les droits des hommes dérivent de la nature seule et sont indépendants de leurs conventions. »