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L’ANCIEN RÉGIME


ses complaisants. Le directeur du théâtre, puis l’officier de garde viennent prier Mme Barnave de se retirer ; elle refuse ; par ordre du gouverneur, quatre fusiliers arrivent pour l’y contraindre. Déjà le parterre prenait parti et l’on pouvait craindre des violences, lorsque M. Barnave, averti de l’affront, vint emmener sa femme et dit tout haut : « Je sors par ordre du gouverneur ». Le public, toute la bourgeoisie indignée s’engagea à ne revenir au spectacle qu’après satisfaction, et en effet le théâtre resta vide pendant plusieurs mois, jusqu’à ce que Mme Barnave eût consenti à y reparaître. Le futur député se souvint plus tard de l’outrage, et dès lors se jura « de relever la caste à laquelle il appartenait de l’humiliation à laquelle elle semblait condamnée ». — Pareillement Lacroix, le futur conventionnel[1], poussé, à la sortie du théâtre, par un gentilhomme qui donne le bras à une jolie femme, se plaint tout haut. — « Qui êtes-vous ? » — Lui, encore provincial, a la bonhomie de défiler tout au long ses nom, prénoms et qualités. « Eh bien, dit l’autre, c’est très bien fait à vous d’être tout cela ; moi, je suis le comte de Chabannes et je suis très pressé. » Sur quoi, « riant démesurément », il remonte en voiture. « Ah ! monsieur, disait Lacroix encore tout chaud de sa mésaventure, l’affreuse distance que l’orgueil et les préjugés mettent entre les hommes ! » — Soyez sûr que chez Marat, chirurgien aux écuries du comte d’Artois, chez Robespierre, protégé de l’évêque

  1. Tilly, Mémoires, I, 243.