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LA PROPAGATION DE LA DOCTRINE


de Rousseau, « l’esprit républicain[1] » ; il a gagné toute la classe moyenne, artistes, employés, curés, médecins, procureurs, avocats, lettrés, journalistes, et il a pour aliments les pires passions aussi bien que les meilleures, l’ambition, l’envie, le besoin de liberté, le zèle du bien public et la conscience du droit.

V

Toutes ces passions s’exaltent les unes par les autres. Rien n’est tel qu’un passe-droit pour aviver le sentiment de la justice. Rien n’est tel que le sentiment de la justice pour aviver la douleur d’un passe-droit. À présent que le Tiers se juge privé de la place qui lui appartient, il se trouve mal à la place qu’il occupe, et il souffre de mille petits chocs que jadis il n’aurait pas sentis. Quand on se sent citoyen, on s’irrite d’être traité en sujet, et nul n’accepte d’être l’inférieur de celui dont il se croit l’égal. C’est pourquoi, pendant les vingt dernières années, l’ancien régime a beau s’alléger, il semble plus pesant, et ses piqûres exaspèrent comme des blessures. On en citerait vingt cas pour un — Au théâtre de Grenoble, Barnave enfant[2] était avec sa mère dans une loge que le duc de Tonnerre, gouverneur de la province, destinait à l’un de

  1. Geffroy, Gustave III et la cour de France. « Paris, avec son esprit républicain, applaudit ordinairement ce qui est tombé à Fontainebleau. » (Lettre de Mme de Staël, du 17 septembre 1786.)
  2. Sainte-Beuve, Causeries du lundi, II, 24. (Étude sur Barnave.)