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L’ANCIEN RÉGIME


« arrivaient pour les voir mourir sans qu’il y eût du remède. » — Si je comptais les attroupements, les séditions d’affamés, les pillages de magasins, je n’en finirais pas : ce sont les soubresauts convulsifs de la créature surmenée ; elle a jeûné tant qu’elle a pu ; à la fin l’instinct se révolte, fin 1747[1], « il y a des révoltes considérables à Toulouse pour le pain ; en Guyenne, il y en a à chaque marché ». En 1750, six à sept mille hommes en Béarn s’assemblent derrière une rivière pour résisté aux commis ; deux compagnies du régiment d’Artois font feu sur les révoltés et en tuent une douzaine. En 1752, une sédition dure trois jours à Rouen et dans les environs ; en Dauphiné et en Auvergne, les villageois attroupés forcent les greniers et prennent le blé au prix qu’ils veulent ; la même année, à Arles, deux mille paysans armés viennent demander du pain à l’Hôtel de ville et sont dispersés par les soldats. Dans la seule province de Normandie, je trouve des séditions en 1725, en 1737, en 1739, en 1752, en 1764, 1765, 1766, 1767, 1768[2], et toujours au sujet du pain. « Des hameaux entiers, écrit le Parlement, manquant des choses les plus nécessaires à la vie, étaient obligés, par le besoin, de se réduire aux aliments des bêtes… Encore deux jours et Rouen se trouvait sans provisions, sans grains et sans pain. » Aussi la dernière émeute est terrible, et, cette fois encore, la populace, maîtresse de la ville pendant trois

  1. Marquis d’Argenson. IV, 124 ; VI, 165 ; VII, 194, etc.
  2. Floquet, Ib., VI. 400 à 430.