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L’ANARCHIE SPONTANÉE


la ménage. « Il faut, écrit aux échevins le député de Troyes, il faut, pour le moment, oublier votre autorité ; agissez avec le peuple comme avec un ami, employez avec lui cette douceur qu’on doit à ses égaux, et soyez persuadés qu’il est susceptible de retour. » Ainsi fait Huez, et mieux encore, à travers toutes les menaces, refusant même de pourvoir à sa sûreté et s’offrant presque en sacrifice. « Je n’ai fait de mal à personne, disait-il, comment pourrait-on m’en vouloir ? » Sa seule précaution est d’assurer après lui des secours aux malheureux : par testament, il a légué 18 000 livres aux pauvres, et, la veille de sa mort, il fait porter 100 écus au bureau de charité. Mais de quoi servent l’abnégation et les bienfaits contre la rage aveugle et folle ? — Le 9 septembre, trois voitures de farine s’étant trouvées mauvaises, le peuple s’amasse et crie : « À bas les marchands de farines ! À bas les mécaniques ! À bas le maire ! Mort au maire, et que Truelle prenne sa place ! » — Huez, sortant de son tribunal, est renversé, meurtri à coups de pied et de poing, empoigné au collet, ramené à la salle d’audience, frappé à la tête d’un coup de sabot, jeté en bas du grand escalier. Vainement les officiers municipaux veulent le défendre ; on lui passe une corde autour du cou et on commence à le traîner. Un prêtre, qui implore la permission de sauver au moins son âme, est repoussé et battu. Une femme se jette sur le vieillard terrassé, lui foule la figure avec ses pieds, lui enfonce ses ciseaux dans les yeux à plusieurs reprises. Il est traîné, la corde au cou, jusqu’au pont de la Selle,