Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 3, 1909.djvu/120

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
106
LA RÉVOLUTION


lancé dans le gué voisin, puis retiré, traîné de nouveau par les rues, dans les ruisseaux, avec une poignée de foin dans la bouche[1]. — Cependant sa maison, celle du lieutenant de la maréchaussée, celle du notaire Guyot, celle de M. de Saint-Georges, sont saccagées ; le pillage et la destruction durent quatre heures ; chez le notaire, six cents bouteilles de vin sont bues ou emportées ; les objets précieux sont partagés ; le reste, jusqu’au balcon de fer, est démoli ou brisé, et les émeutiers crient, en s’en allant, qu’ils ont encore vingt-sept maisons à brûler et vingt-sept têtes à prendre. « Personne, à Troyes, ne se coucha pendant cette nuit néfaste. » — Les jours suivants, pendant près de deux semaines, la société semble défaite. Des placards affichés proscrivent les officiers municipaux, les chanoines, plusieurs privilégiés, les principaux négociants et jusqu’aux dames de charité ; celles-ci, effrayées, se démettent ; nombre de personnes émigrent dans la campagne ; d’autres se barricadent chez elles et n’ouvrent leurs portes que le sabre à la main. C’est le 26 seulement que les gens d’ordre, ralliés, reprennent l’ascendant et arrêtent les malfaiteurs. — Telle est la vie publique en France à partir du 14 juillet ; dans chaque ville, les magistrats se sentent

  1. Moniteur, ib. Picard. Le principal meurtrier, avoua « qu’il l’avait fait bien souffrir, que ledit sieur Huez n’était mort que vers l’auberge du Chaudron, que cependant on avait le projet de le faire souffrir davantage en lui donnant à chaque coin de rue un coup de couteau au cou, (et) en se ménageant la faculté de lui en donner davantage tant qu’il vivrait ; que la journée de la mort de M. Huez lui avait valu 10 francs et la boucle du cou de M. Huez, trouvée sur lui, lorsqu’il fut arrêté dans sa fuite. »