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LA RÉVOLUTION


il y a des juges. Pendant le chemin, « on les traînait par terre, on se les jetait de main en main, on les foulait aux pieds, on leur crachait à la figure, on les souillait d’ordures ». M. de Montesson est tué à coups de fusil ; M. Cureau est massacré en détail. Avec une bisaiguë, un charpentier tranche les deux têtes, et des enfants les portent au son du tambour et des violons. Cependant les juges du lieu, amenés par force, dressent procès-verbal de trente louis et de plusieurs billets de la Banque d’Escompte, qui sont dans les poches de M. Cureau ; sur cette découverte, part un cri de triomphe : voilà la preuve qu’il voulait acheter les blés sur pied ! — Ainsi procède la justice populaire ; maintenant que le Tiers est la nation, chaque attroupement se croit en droit de rendre des sentences et il les exécute lui-même sur les vies et sur les biens.

Dans les provinces de l’Ouest, du Centre et du Midi, ces explosions sont isolées ; mais du côté de l’Est, sur une bande large de trente à cinquante lieues, et depuis l’extrême Nord jusqu’à la Provence, la conflagration est universelle. Alsace, Franche-Comté, Bourgogne, Mâconnais, Beaujolais, Auvergne, Viennois, Dauphiné, tout le territoire ressemble à une longue mine continue qui saute à la fois. La première colonne de flammes jaillit sur la frontière de l’Alsace et de la Franche-Comté, aux environs de Belfort et de Vesoul, pays féodal où le paysan, surchargé de redevances, porte plus impatiemment un joug plus lourd. Un raisonnement instinctif fermente en lui sans qu’il le sache. « La bonne Assemblée et le bon