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LA PREMIÈRE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


ville ou bourgade, pour les principaux de chaque art, profession ou métier, pour les gens aisés et considérés, bref pour la majorité des hommes qui avaient sur la tête un bon toit et sur le dos un bon habit, de subir la domination illégale d’une plèbe conduite par quelques centaines ou douzaines de déclamateurs et de boutefeux. — Déjà, au commencement de 1792, le mécontentement était si visible, qu’on le dénonçait à la tribune et dans la presse ; Isnard[1] tonnait contre « cette infinité de gros propriétaires, de riches négociants, d’hommes opulents et orgueilleux, qui, placés avantageusement dans l’amphithéâtre des conditions sociales, ne veulent pas qu’on en déplace les sièges ». — « La bourgeoisie, écrivait Pétion[2], cette classe nombreuse et aisée, fait scission avec le peuple ; elle se place au-dessus de lui,… il est le seul objet de sa défiance. Une idée la poursuit partout : c’est qu’à présent la révolution est la guerre de ceux qui ont contre ceux qui n’ont pas. » — Effectivement, elle s’abstenait aux élections, elle refusait de fréquenter les sociétés patriotiques, elle réclamait le rétablissement de l’ordre et le règne de la loi ; elle ralliait autour d’elle « la multitude des gens modérés et timides pour qui la tranquillité est le premier besoin », et surtout, ce qui était plus grave, elle imputait les troubles aux auteurs des troubles. Avec une indignation contenue et une force de

  1. Moniteur, XI, 45 et 46, séance du 5 janvier. Tout le discours d’Isnard est à lire.
  2. Buchez et Roux, XIII, 177. Lettre, de Pétion, 10 février.