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LA RÉVOLUTION


prisons et massacrera les prisonniers[1]. — Non seulement on harcèle les juges, mais on pousse devant eux les détenus : une députation de la Commune et des fédérés somme l’Assemblée « de transférer à Paris les criminels d’Orléans, pour y subir le supplice de leurs forfaits » ; sinon, dit l’orateur, « nous ne répondons plus de la vengeance du peuple[2] ». Et, d’un ton plus impératif encore : « Vous avez entendu, et vous savez que l’insurrection est un devoir sacré », un devoir sacré envers et contre tous, envers l’Assemblée si elle refuse, envers le tribunal s’il absout. Ils se lancent vers leur proie à travers les formes législatives ou judiciaires, comme un milan à travers des toiles d’araignée, et rien ne les détache de leur idée fixe. M. Luce de Montmorin ayant été acquitté[3], l’assistance grossière, qui le confond avec son cousin, ancien ministre de Louis XVI, éclate en murmures. Le président essaye d’imposer silence ; les cris redoublent, et M. de Montmorin est en danger. Alors le président, trouvant un biais, annonce qu’un des jurés est peut-être parent de l’accusé, que, dans ce cas, il faudra un nouveau jury et un nouveau jugement, qu’on va s’assurer du fait, et qu’en attendant le prisonnier sera reconduit à la Conciergerie. Là-dessus, il prend M. de Montmorin par le bras et l’emmène à travers les hurlements, non sans péril pour lui-même ; dans la cour extérieure, un garde national lui lance un coup de

  1. Récit de Pétion dans son discours (Moniteur du 10 novembre 1792).
  2. Buchez et Roux, XVII, 116, séance du 23 août.
  3. Mortimer-Ternaux, III, 461. — Moore, I, 273 (31 août).