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LA SECONDE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


sabre, et, le lendemain, il faut que le tribunal autorise huit délégués de l’auditoire à vérifier par leurs propres yeux que M. de Montmorin est toujours sous les verrous.

Au moment où on l’acquittait, un mot tragique a été lancé : « Vous le déchargez aujourd’hui, et dans quinze jours il nous fera égorger ! » — Manifestement, la peur s’est ajoutée à la haine. La plèbe jacobine a vaguement conscience de son petit nombre, de son usurpation, de son danger qui croît à mesure que Brunswick approche. Elle se sent campée sur une mine : si la mine sautait ! — Puisque ses adversaires sont des scélérats, ils sont bien capables de faire un mauvais coup, complot ou massacre ; n’ayant jamais fait elle-même que cela, elle ne conçoit pas autre chose, et, par une transposition inévitable, elle leur impute la pensée meurtrière qui s’élabore obscurément dans les bas-fonds de sa cervelle trouble. — Le 27 août, après la pompe funèbre que Sergent a composée exprès pour irriter les ressentiments populaires, ses soupçons, précisés et dirigés, commencent à se tourner en certitude : dix étendards « commémoratifs[1] », portés chacun par un volontaire à cheval, ont fait défiler devant ses yeux la longue liste des massacres exécutés « par la cour et ses agents » : massacre de Nancy, massacre de Nîmes, massacre de Montauban, massacre d’Avignon, massacre de la Chapelle, massacre de Carpentras, massacre du Champ

  1. Buchez et Roux, XVII, 207 (article de Prudhomme dans les Révolutions de Paris).