Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 6, 1904.djvu/22

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
20
LA RÉVOLUTION


on est roi et pressé, on ne s’astreint pas aux formes, et l’on confond aisément le tiroir où l’on a mis l’argent de l’État avec le tiroir où l’on met son propre argent.

Par malheur, cette pleine possession de la puissance et de la fortune publiques ne tient qu’à un fil. Que la majorité évincée et violentée ose, comme plus tard à Lyon, Marseille et Toulon, revenir aux assemblées de section et révoquer le faux mandat qu’ils se sont arrogé par la fraude et par la force, à l’instant, par la volonté du peuple souverain et en vertu de leur propre dogme, ils redeviennent ce qu’ils sont effectivement, des usurpateurs, des concussionnaires et des voleurs : point de milieu pour eux entre la dictature et les galères. — Devant une pareille alternative, l’esprit, à moins d’un équilibre extraordinaire, perd son assiette ; ils n’ont plus de peine à se faire illusion, à croire l’État menacé dans leurs personnes, à poser en règle que tout leur est permis, même le massacre. Basire n’a-t-il pas dit à la tribune que, contre les ennemis de la nation, « tous les moyens sont bons et justes » ? N’a-t-on pas entendu un autre député, Jean Debry, proposer la formation d’un corps de 1200 volontaires qui « se dévoueront », comme jadis les assassins du Vieux de la Montagne, pour « attaquer, corps à corps, individuellement, les tyrans » et les généraux[1] ? N’a-t-on pas vu Merlin de Thionville demander que les femmes et « les enfants des émigrés qui attaquent la frontière soient retenus comme otages », et déclarés responsables, en d’autres ter-

  1. Moniteur, XIII, 514, 542, séances des 25 et 26 août.