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LA RÉVOLUTION


spontanément, chacun, selon ses aptitudes, y prend son rôle, qu’il choisit ou qu’il subit.

Avant tous, Marat a proposé et prêché l’opération, et, de sa part, rien de plus naturel. Elle est l’abrégé de sa politique : un dictateur ou tribun, avec pleins pouvoirs pour tuer et n’ayant de pouvoirs que pour cela, un bon coupe-tête en chef, responsable, « enchaîné et le boulet aux pieds », tel est, depuis le 14 juillet 1789, son programme de gouvernement, et il n’en rougit pas : « tant pis pour ceux qui ne sont pas à la hauteur de l’entendre[1] ». Du premier coup, il a compris le caractère de la révolution, non par génie, mais par sympathie, lui-même aussi borné et aussi monstrueux qu’elle, atteint depuis trois ans de délire soupçonneux et de monomanie homicide, réduit par l’appauvrissement mental à une seule idée, celle du meurtre, ayant perdu jusqu’à la faculté du raisonnement vulgaire, le dernier des journalistes, sauf pour les poissardes et les hommes piques, si monotone dans son paroxysme continu[2],

    mission pour les égorger en route. (Balleydier, Histoire politique et militaire du peuple de Lyon, I, 79. Lettre de Laussel, datée de Paris, 28 août) : « Nos volontaires sont à Orléans depuis deux ou trois jours pour y expédier les prisonniers contre-révolutionnaires, qu’on traitait trop bien. » Le jour du départ de Fournier (24 août), Moore remarque au Palais-Royal et aux Tuileries que le nombre des orateurs en plein vent est plus grand que jamais, qu’ils sont visiblement apostés et payés, et qu’ils déclament contre les crimes des rois.

  1. Moniteur du 25 septembre 1792. Discours de Marat à la Convention.
  2. Voyez ses deux journaux, l’Ami du peuple et le Journal de la République française, notamment de juillet à octobre 1792. — Titre du n° du 16 août : « Développement de l’atroce complot de