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LA RÉVOLUTION


crime la moindre résistance à l’autorité publique. Comment faire pour justifier une pareille volte-face, et de quel front va-t-il nier les principes sur lesquels il a fondé sa propre usurpation ? — Il se garde bien de les nier : ce serait pousser à bout la province déjà révoltée ; au contraire, il les proclame de plus belle ; grâce à cette manœuvre, la foule ignorante, voyant qu’on lui présente toujours le même flacon, croira qu’on lui sert toujours la même liqueur, et on lui fera boire la tyrannie sous l’étiquette de la liberté. Étiquettes, enseignes, tirades et mensonges de charlatan, on les prodiguera pendant six mois pour déguiser la nouvelle drogue ; tant pis pour le public, si plus tard il la trouve amère ; tôt ou tard, il l’avalera, de gré ou de force, car, dans l’intervalle, on aura préparé les engins qui la lui pousseront jusque dans le gosier[1].

Pour commencer, on forge à la hâte la Constitution depuis si longtemps attendue et tant de fois promise[2] :

  1. « Quand nous aurons fait la Constitution, disait Legendre aux Jacobins, nous ferons danser les fédéralistes. »
  2. Archives nationales, FIC, 54 (circulaire de Gohier, ministre de la justice, au peuple français, 6 juillet 1793). « On se plaît à dénaturer par des fables grossières, par des exagérations atroces, les événements du 31 mai et du 2 juin, et l’on détourne les yeux des résultats heureux qu’ils présentent. On veut absolument ne voir qu’une violation de la liberté des représentants du peuple dans une démarche qui avait particulièrement pour objet l’accélération de l’acte constitutionnel, sur lequel doit être établie la liberté générale. Qu’importe quels sont les auteurs de la Constitution qui vous est présentée ? Qu’importe qu’elle soit sortie d’une Montagne, au milieu des éclairs et au bruit des éclats de la foudre, comme les tables de la loi reçues par les Hébreux, ou qu’elle ait été, comme la loi donnée aux premiers