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LA RÉVOLUTION


ses murs et leur livrer le grand arsenal du Sud. Non moins affamé, Bordeaux pouvait se laisser tenter jusqu’à demander le secours d’une autre flotte anglaise. En quelques marches, l’armée piémontaise arrivait à Lyon ; la France était coupée en deux, le Midi détaché du Nord ; et ce projet d’insurger le Midi contre le Nord était proposé aux alliés par le plus perspicace de leurs conseillers[1]. Si son plan eût été suivi, il est probable que la patrie était perdue. — En tout cas, il était dangereux de pousser les insurgés au désespoir : car, entre la dictature sans frein de leurs assassins triomphants et les coups de fusil de l’armée assiégeante, des hommes de cœur ne pouvaient pas hésiter ; mieux valait se battre sur les remparts que se laisser lier pour la guillotine ; acculés à l’échafaud, leur seule ressource était de se défendre à outrance. — Ainsi, par ses exigences, la Montagne se condamnait à faire plusieurs sièges ou blocus de plusieurs mois[2], à dégarnir le Var et la Savoie, à épuiser ses arsenaux, à employer contre des Français cent mille soldats[3] avec les munitions dont la

  1. Mallet du Pan, I, 379 et suivantes ; I, 408 ; II, 10.
  2. Entrée des troupes républicaines à Lyon, 9 octobre ; à Toulon, 19 décembre. Bordeaux avait fait sa soumission le 2 août ; exaspérée par le décret du 6 août, qui proscrit tous les fauteurs de l’insurrection, la ville chasse, le 19 août, les représentants Baudot et Ysabeau. Elle se soumet de nouveau, le 19 septembre. Mais l’indignation y est si forte, que Tallien et ses trois collègues n’osent y entrer que le 16 octobre (Mortimer-Ternaux, VIII, 197 et suivantes).
  3. Il fallut une armée de 70 000 hommes pour réduire Lyon (Guillon de Montléon, II, 226) et une armée de 60 000 hommes pour réduire Toulon.