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LA RÉVOLUTION


et plus douloureux que la guillotine[1], tellement que, pour s’y soustraire, Chamfort s’ouvre les veines et Condorcet avale du poison.

Troisième expédient, le meurtre après jugement ou sans jugement. — Cent soixante-dix-huit tribunaux, dont quarante sont ambulants[2], prononcent, dans toutes les parties du territoire, des condamnations à mort, qui sont exécutées sur place et à l’instant. Du 16 avril 1793 au 9 Thermidor an II, celui de Paris fait guillotiner 2625 personnes[3], et les juges de province travaillent aussi bien que les juges de Paris. Dans la seule petite ville d’Orange, ils font guillotiner 331 personnes. Dans la seule ville d’Arras, ils font guillotiner 299 hommes et 93 femmes. Dans la seule ville de Nantes, les tribunaux révolutionnaires et les commissions militaires font guillotiner ou fusiller en moyenne 100 personnes par jour, en tout 1971. Dans la seule ville de Lyon, la commission révolutionnaire avoue 1684 exécutions, et un correspondant de Robespierre, Cadillot, lui en annonce 6000[4]. Le relevé de ces meurtres n’est pas complet,

  1. Histoire des prisons, I, 10 : « Allez visiter, dit un contemporain, les cachots qu’on appelle le Grand-César, Bel-Air, Bombée, Saint-Vincent (à la Conciergerie), etc., et dites si la mort n’est pas préférable à un pareil séjour. » — Effectivement, certains prisonniers, pour en finir plus vite, écrivent à l’accusateur public, s’accusent eux-mêmes, demandent un roi et des prêtres ; selon leur désir, ils sont guillotinés sur-le-champ. — Sur les souffrances des détenus en route pour leur prison finale, cf. Riouffe, Mémoires, et le récit de la Translation des cent trente-deux Nantais à Paris.
  2. Berryat-Saint-Prix, 9 et passim.
  3. Campardon, 2, 224.
  4. Berryat-Saint-Prix, 445. — Paris, Histoire de Joseph Lebon,