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LES MŒURS ET LES CARACTÈRES


prudes[1]. Quantité de couvents sont des asiles agréables et décents pour des dames veuves, pour de jeunes femmes dont les maris sont à l’armée, pour des filles de condition, et la supérieure, qui le plus souvent est demoiselle, tient avec aisance et dextérité le sceptre de ce joli monde féminin. — Mais nulle part la pompe, l’hospitalité, la foule ne sont plus grandes que dans les palais épiscopaux. J’ai décrit la situation des évêques : si opulents, possesseurs de pareils droits féodaux, héritiers et successeurs des anciens souverains de la contrée, outre cela, gens à la mode et habitués de Versailles, comment n’auraient-ils pas une cour ? Un Cicé, archevêque de Bordeaux, un Dillon, archevêque de Narbonne, un Brienne, archevêque de Toulouse, un Castellane, évêque de Mende et seigneur suzerain de tout le Gévaudan, un archevêque de Cambray, duc de Cambray, seigneur suzerain de tout le Cambrésis et président-né des États provinciaux, la plupart sont des princes ; ne faut-il pas qu’ils représentent en princes ? C’est pourquoi ils chassent, ils bâtissent, ils ont des clients, des hôtes, un lever, une antichambre, des huissiers, des officiers, une table ouverte, une maison montée, des équipages, et le plus souvent des dettes, dernier point qui achève le grand seigneur. Dans le palais presque royal que les Rohans, évêques héréditaires de Strasbourg et cardinaux d’oncle en neveu, se sont bâti à Saverne[2], il y a

  1. Duc de Lauzun, Mémoires, 257.
  2. Marquis de Valfons, Souvenirs, 60. — Duc de Lévis, 156. — Mme d’Oberkirch, I, 127 ; II, 360.