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LES MŒURS ET LES CARACTÈRES


inscrites sur l’état pour dix ou douze tasses par jour, et l’on calculait que le café au lait avec un petit pain tous les matins coûtait pour chaque dame d’atour 2000 francs par an[1]. On devine qu’en des maisons ainsi gouvernées les fournisseurs attendent. Ils attendent si bien que parfois, sous Louis XV, ils refusent de fournir et « se cachent ». Même le retard est si régulier, qu’à la fin on est obligé de leur payer à 5 pour 100 l’intérêt de leurs avances ; à ce taux, en 1778, après toutes les économies de Turgot, le roi doit encore près de 800 000 livres à son marchand de vin, près de trois millions et demi à son pourvoyeur[2]. Même désordre dans les maisons qui entourent le trône. Mme de Guéméné doit 60 000 livres à son cordonnier, 16 000 à son colleur de papiers, et le reste à proportion. » Une autre, à qui le marquis de Mirabeau voit des chevaux de remise, répond en voyant son air étonné : « Ce n’est pas qu’il n’y en ait 70 dans nos écuries ; mais il n’y en a point qui ait pu aller aujourd’hui[3] ». Mme de Montmorin, voyant que son mari a plus de dettes que de biens, croit pouvoir sauver sa dot de 200 000 francs ; mais on lui apprend qu’elle a consenti à répondre pour un compte de tailleur, et ce compte[4], « chose incroyable et

  1. Duc de Luynes, XVII, 37 (août 1758). — Marquis d’Argenson, 11 février 1755.
  2. Archives nationales, O1, 738. Les intérêts payés sont de 12 969 francs pour le boulanger, de 59 651 francs pour le marchand de vins, de 173 899 francs pour le pourvoyeur.
  3. Marquis de Mirabeau, Traité de la population, 60. — Le Gouvernement de Normandie, par Hippeau, II, 204 (30 sept. 1780).
  4. Mme de la Rochejaquelein, Mémoires, 30. — Mme d’Oberkirch, II, 66.