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LES MŒURS ET LES CARACTÈRES


employés jour et nuit ; et, comme le temps manque pour aller chercher au loin la chaux, le plâtre et la pierre de taille, il envoie sur les grands chemins des patrouilles de la garde suisse qui saisissent, payent et amènent sur-le-champ les chariots ainsi chargés[1]. Le maréchal de Soubise, recevant un jour le roi à dîner et à coucher dans sa maison de campagne, dépense à cela 200 000 livres[2]. Mme de Matignon fait un marché de 24 000 livres par an pour qu’on lui fournisse tous les jours une coiffure nouvelle. Le cardinal de Rohan a une aube brodée en point à l’aiguille qu’on estime à plus de 100 000 livres, et sa batterie de cuisine est en argent massif[3]. — Rien de plus naturel avec l’idée qu’on se faisait alors de l’argent ; épargné, entassé, au lieu d’un fleuve, c’était une mare inutile et qui sentait mauvais. La reine, ayant donné au Dauphin une voiture dont les encadrements en vermeil étaient ornés de rubis et de saphirs, disait naïvement : « Le roi n’a-t-il pas augmenté ma cassette de 200 000 livres ? ce n’est pas pour que je les garde[4] ». On les jetterait plutôt par la fenêtre. Ainsi fit

  1. Marie-Antoinette, III, 135 (19 nov 1777).
  2. Barbier, IV, 155. — Le maréchal de Soubise avait un rendez-vous de chasse où le roi venait de temps en temps manger une omelette d’œufs de faisans, coûtant 157 livres 10 sous. (Mercier, XII, 192, d’après le cuisinier qui préparait l’omelette.)
  3. Mme d’Oberkirch, I, 129 ; II, 257.
  4. Mme de Genlis, Souvenirs de Félicie, 80 ; et Théâtre d’Éducation, II, 567. Une jeune femme honnête fait, en 10 mois, 70 000 francs de dettes : « Pour une petite table 10 louis, pour une chiffonnière 15 louis, pour un bureau 800 fr., pour une petite écritoire 200 fr., pour une grande écritoire 500 fr. Bagues de cheveux, montre de cheveux, chaîne de cheveux, bracelets de