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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 1, 1909.djvu/236

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L’ANCIEN RÉGIME


la même carrière, et avec les mêmes armes, qui sont la parole flexible, la grâce engageante, les insinuations, le tact, le sentiment juste du moment opportun, l’art de plaire, de demander et d’obtenir ; il n’y a point de dame de la cour qui ne donne des régiments et des bénéfices. À ce titre, la femme a son cortège personnel de solliciteurs et de protégés, et, comme son mari, ses amis, ses ennemis, ses ambitions, ses mécomptes et ses rancunes propres ; rien de plus efficace pour disjoindre un ménage que cette ressemblance des occupations et cette distinction des intérêts. — Ainsi relâché, le lien finit par se rompre sous l’ascendant de l’opinion. « Il est de bon air de ne pas vivre ensemble », de s’accorder mutuellement toute tolérance, d’être tout entier au monde. En effet, c’est le monde qui fait alors l’opinion, et, par elle, il pousse aux mœurs dont il a besoin.

Vers le milieu du siècle, le mari et la femme logeaient dans le même hôtel ; mais c’était tout. « Jamais ils ne se voyaient, jamais on ne les rencontrait dans la même voiture, jamais on ne les trouvait dans la même maison, ni, à plus forte raison, réunis dans un lieu public. » Un sentiment profond eût semblé bizarre et

    des ministres et des amis du roi. Un d’eux qui revenait de Versailles dans son château parlait à sa femme de tout ce qui l’avait occupé ; chez nous, il lui dit un mot sur ses dessins à l’aquarelle, ou reste silencieux, pensif, à rêver à ce qu’il vient d’entendre au parlement. Nos pauvres ladies sont abandonnées à la société de ces hommes frivoles qui, par leur peu d’esprit, se sont trouvés au-dessous de toute ambition et, par là, de tout emploi (les dandies). » (Stendhal, Rome, Naples et Florence, 377. Récit du colonel Forsyth.)