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LES MŒURS ET LES CARACTÈRES


publiques, à ses affaires propres, au mariage, à la famille, le prend avec tous ses sentiments et toutes ses facultés, pour le donner au monde, lui et tous les siens. — Au-dessous de lui, les belles façons et la politesse obligatoire gagnent jusqu’à ses gens, jusqu’à ses fournisseurs. Un Frontin a la désinvolture galante et tourne le compliment[1]. Une soubrette n’a besoin que d’être entretenue pour devenir une dame. Un cordonnier est un « Monsieur en noir », qui dit à la mère en saluant la fille : « Madame, voilà une charmante demoiselle, et je sens mieux que jamais le prix de vos bontés » ; sur quoi la jeune fille, qui sort du couvent, le prend pour un épouseur et devient toute rouge. — Sans doute, entre ce louis de similor et un louis d’or pur, des yeux moins novices auraient démêlé la différence. Mais leur ressemblance suffit pour montrer l’action universelle du balancier central qui frappait tout à la même effigie, le métal vulgaire et l’or affiné.

IV

Pour que le monde ait tant d’empire, il faut qu’il ai bien de l’attrait ; en effet, dans aucun pays et dans aucun siècle, un art social si parfait n’a rendu la vie si agréable. Paris est l’école de l’Europe, une école d’urbanité, où, de Russie, d’Allemagne, d’Angleterre, les jeunes

  1. Déjà, dans les Précieuses de Molière, le marquis de Mascarille et le vicomte de Jodelet. — De même, Marivaux, l’Épreuve, les Jeux de l’amour et du hasard, etc. — Lesage, Crispin rival de son maître. — Laclos, les Liaisons dangereuses, 1re  lettre.