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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 1, 1909.djvu/267

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LES MŒURS ET LES CARACTÈRES


une grande passion, à des extrémités qui sont des folies ; à tout prix, il lui faut la jouissance offerte. Devant la satisfaction du moment, il est comme un enfant devant un fruit, et rien ne l’arrête, ni le danger puisqu’il l’oublie, ni les convenances puisqu’il les fait.

VII

Se divertir, c’est se détourner de soi, s’en déprendre, en sortir ; et, pour en bien sortir, il faut se transporter dans autrui, se mettre à la place d’un autre, prendre son masque, jouer son rôle. Voilà pourquoi le plus vif des divertissements est la comédie où l’on est acteur. C’est celui des enfants qui, tout le long du jour, auteurs, acteurs, spectateurs, improvisent et représentent de petites scènes. C’est celui des peuples que leur régime politique exclut des soucis virils et qui jouent avec la vie à la façon des enfants. À Venise, au dix-huitième siècle, le carnaval dure six mois ; en France, sous une autre forme, il dure toute l’année. Moins familier et moins pittoresque, plus raffiné et plus élégant, il a quitté la place publique où le soleil lui manque, pour s’enfermer dans les salons où les lustres lui conviennent mieux. De la grande mascarade populaire, il ne garde qu’un lambeau, le bal de l’Opéra, magnifique d’ailleurs et fréquenté par les princes, par les princesses, par la reine. Mais ce lambeau, si brillant qu’il soit, ne lui suffit point, et, dans tous les châteaux, dans tous les hôtels, à Paris, en province, il installe les travestissements de société et la comédie à