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LE RÉGIME MODERNE


énorme, puisque, dans la plupart des cas, il prélève 5, 7, 9 et jusqu’à 10 1/2 pour 100 sur le capital transmis, c’est-à-dire, lorsqu’il s’agit d’immeubles, deux, trois ou même quatre années du revenu. Ainsi, dans cette première tonte, le fisc a largement taillé, aussi largement qu’il a pu ; mais il n’a guère opéré que sur les moutons dont la toison est plus ou moins ample ; ses ciseaux ont à peine effleuré les autres, bien plus nombreux, à poil ras, dont la laine, courte et clairsemée, n’est entretenue que par le salaire quotidien, par les minces profits du travail manuel. — Il y aura compensation, lorsque le fisc, reprenant ses ciseaux, pratiquera sa deuxième tonte ; c’est l’impôt, indirect, qui, même bien assis, bien perçu, est, par nature, plus lourd pour les pauvres que pour les gens aisés et les riches.

Par cet impôt, et grâce au jeu préalable de ses douanes, péages, octrois ou monopoles, l’État prélève tant pour cent sur le prix final de certaines marchandises vendues. De cette façon, il participe à un commerce et devient lui-même un commerçant. Or, en bon

    mutation est perçu par le fisc à un moment unique, quand la propriété est à peine née ou en train de naître. En effet, si la propriété change de mains à titre gratuit, par héritage ou donation, il y a chance pour que le nouveau propriétaire, subitement enrichi et trop content d’entrer en possession, ne regimbe pas contre un prélèvement qui ne dépasse guère un dixième et ne le laisse qu’un peu moins riche. Si la propriété change de mains à titre onéreux et par contrat, il est probable qu’aucun des deux contractants ne voit nettement lequel des deux paye le droit fiscal ; le vendeur peut supposer que c’est l’acheteur, et l’acheteur que c’est le vendeur : grâce à cette illusion, ils sont moins sensibles à la tonte, et chacun d’eux prête son dos, en se disant que c’est le dos de l’autre.