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LE RÉGIME MODERNE


domestique, incapables de discipline spontanée et de travail suivi, aventuriers et déclassés, demi-barbares ou demi-chenapans, les uns, fils de famille, jetés dans l’armée par un coup de tête, d’autres, apprentis renvoyés ou domestiques sans place, d’autres encore, anciens vagabonds et ramassés dans les dépôts de mendicité, la plupart ouvriers nomades, traîneurs de rue, « rebut des grandes villes », presque tous « gens sans aveu » ; bref « ce qu’il y avait de plus débauché, de plus ardent, de plus turbulent dans un peuple ardent, turbulent et un peu débauché[1] ». De cette façon on utilisait, au profit de la société, la classe antisociale. Figurons-nous un domaine assez mal tenu où l’on rencontre beaucoup de chiens errants qui peuvent devenir dangereux ; on les attire au moyen d’un appât, on leur met un collier au cou, on les tient à l’attache, et ils deviennent des chiens de garde. — En second lieu, par cette institution, le sujet gardait la première et la plus précieuse de ses libertés, la pleine possession et la disposition indéfinie de lui-même, la complète propriété de son corps et de sa vie physique ; elle lui était assurée, garantie contre les

  1. L’Ancien Régime, tome II, 301, 302. — La Révolution, tome IV, 218 à 220. — Albert Babeau, le Recrutement, militaire sous l’ancien régime. (Dans la Réforme sociale du 1er  septembre 1888, 229, 238.) — Selon un officier, « on n’engage que de la canaille, parce qu’elle est à meilleur marché ». — Yung, Dubois de Crancé, I, 32 (Discours de M. de Liancourt à la tribune) : « Le soldat, classe à part et trop peu considérée. » — Ib., 39 (Vices et abus de la Constitution actuelle française, Mémoire signé par les officiers de plusieurs régiments, le 6 septembre 1789) : « La majeure partie des soldats [est] tirée du rebut des grandes villes et des gens connus sans aveu. »