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OBJET ET MÉRITES DU SYSTÈME


grand escalier social, il y avait plusieurs étages ; chaque homme pouvait gravir toutes les marches du sien, mais non monter au delà ; arrivé sur le palier, il s’y heurtait contre des portes fermées, contre des barrières presque insurmontables. L’étage supérieur était réservé à ses habitants ; ils l’occupaient dans le présent, et ils devaient encore l’occuper dans l’avenir ; sur chaque degré, autour du possesseur en titre, on apercevait ses successeurs inévitables, ses pareils, pairs et voisins, souvent tel ou tel nominativement désigné, son héritier légal, l’acquéreur de sa survivance. En ce temps-là, on tenait compte à l’individu, non seulement de lui-même, de ses mérites et de ses services, mais aussi de sa famille et de ses ancêtres, de sa condition, des compagnies qu’il fréquentait, du salon qu’il tenait, de sa fortune et de son train ; ces antécédents et ces alentours composaient sa qualité ; sans la qualité requise, impossible de franchir le palier. À la rigueur, un homme né sur les plus hauts degrés d’un étage parvenait quelquefois à gravir les plus bas degrés de l’étage suivant ; mais il s’arrêtait là. En somme, les gens de l’étage inférieur estimaient que, pour eux, l’étage supérieur était inaccessible et, de plus, inhabitable.

Aussi bien, la plupart des offices publics, dans les finances, l’administration et la judicature, dans les parlements, à l’armée, à la cour, étaient des propriétés privées, comme le sont aujourd’hui les charges d’avoué, de notaire et d’agent de change ; pour les exercer, il fallait les acheter, et très cher, disposer d’un capital notable,