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LE RÉGIME MODERNE


mots fins, leur talent pour parler, saluer et sourire, tout cela lui est indifférent ou à charge ; il n’a pas de goût pour leurs façons insinuantes et discrètes[1] ; il ne les juge bons que pour la domesticité d’apparat ; il n’estime en eux que leur entente du cérémonial, la souplesse innée qui leur permet d’être à la fois dignes et serviles, le tact héréditaire qui leur enseigne à présenter une lettre, non de la main à la main, mais sur le rebord d’un chapeau ou sur un plateau d’argent, et il n’estime ces facultés qu’à leur juste prix. — D’autre part, on ne parvient plus, comme tout à l’heure sous la République, par le verbiage de tribune ou de club, par l’appel aux principes, par les tirades éloquentes ou déclamatoires : maintenant les généralités vagues, les abstractions creuses, les phrases à effet sont sans effet ; bien mieux, pour le solliciteur ou plaideur, l’idéologie politique est une mauvaise note. Du premier regard, l’esprit pratique et positif du juge a percé et pénétré à fond les raisons, les moyens, les titres valables ; il ne subit qu’avec impatience la métaphysique et l’avocasserie, le raisonnement verbal et le mensonge des mots. — Cela va si loin, qu’il se défie du talent oratoire ou littéraire ; du moins, quand il confie des rôles actifs et une part dans les affaires publiques, il n’en tient pas compte. Selon lui, « les hommes qui écrivent très bien et qui ont de l’élo-

  1. Mme de Rémusat, passim. — Rœderer, III, 538 (janvier 1809) : « J’ai pris quelques gens de l’ancienne cour dans ma maison. Ils sont deux ans sans me parler et six mois sans me voir… Je ne les aime point, ils ne sont propres à rien, leur conversation me déplaît. »