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OBJET ET MÉRITES DU SYSTÈME


« même homme : Il a passé sergent dans telle compagnie[1]. » — Voilà bien l’impression totale et finale qui surnage dans les imaginations ; c’est en ce sens que le peuple interprète le nouveau régime, et Napoléon s’applique à confirmer l’interprétation populaire. À cet effet, le premier des duchés qu’il institue est pour le maréchal Lefebvre ; c’est « à dessein », dit-il lui-même[2], parce que « ce maréchal avait été simple soldat, et que tout le monde à Paris l’avait connu sergent aux gardes françaises ». — Sur cet exemple et sur tant d’autres exemples non moins éclatants, il n’est point d’ambition qui ne s’exalte, parfois jusqu’au délire. « En ce temps-là, dit Stendhal qui a compris la maîtresse pensée du règne, un garçon pharmacien, parmi ses drogues et bocaux, dans une arrière-boutique, se disait, en pilant et en filtrant, que, s’il faisait quelque grande découverte, il serait fait comte avec 50 000 livres de rente. » En ce temps-là, le commis surnuméraire qui, de sa belle écriture moulée, inscrit des noms sur des parchemins, peut se figurer qu’un jour son propre nom viendra remplir un brevet de sénateur ou de ministre. En ce temps-là, le jeune caporal qui reçoit ses premiers galons entend d’avance, en imagination, les roulements de tambour, les sonneries de trompette, les salves d’artillerie qui le proclameront maréchal de l’Empire.

  1. La Fayette, Mémoires, V, 350.
  2. Napoléon, Mémoires.