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LE RÉGIME MODERNE


lui, font comme lui, et, si haut qu’ils soient montés, ils veulent monter encore plus haut, ou, sinon, garder leur place, à tout le moins se pourvoir, tenir dans leurs mains quelque chose de solide. Masséna a ramassé 40 millions et Talleyrand 60[1] : en cas d’écroulement politique, l’argent reste. Soult a tâché de se faire élire roi de Portugal[2], et Bernadotte trouve le moyen de se faire élire roi de Suède. Après Leipzig, Murat traite avec les alliés, et, pour garder son royaume de Naples, promet son contingent contre la France ; avant Leipzig, Bernadotte s’est joint aux alliés et combat avec eux contre la France. En 1814, Bernadotte et Joseph, chacun de son côté, l’un par des intrigues avec les intrigants de l’intérieur et par des tâtonnements auprès des souverains étrangers, l’autre, en l’absence de Napoléon, par des « tentatives singulières » et par des « empressements » anticipés auprès de Marie-Louise[3], pensent à prendre la place de l’Empereur qui tombe. Seul ou presque seul parmi les grands personnages du règne, le prince Eugène est un vrai fidèle, dont la loyauté

  1. Ces chiffres ont été donnés, l’un par Mérimée, l’autre par Sainte-Beuve.
  2. M. de Champagny, Souvenirs, III, 185. Napoléon, passant en revue ses maréchaux, lui dit (1811) : « Aucun d’eux ne peut me remplacer dans le commandement de mes armées : les uns sont sans talent, les autres feraient la guerre à leur profit. Ce gros Soult n’a-t-il pas voulu devenir roi de Portugal ? — Eh bien ! sire, il ne faut plus faire la guerre. — Oui, mais alors, comment entretenir mon armée ? Et j’ai besoin d’une armée. »
  3. Souvenirs inédits du chancelier Pasquier, IV, 112. (D’après les papiers de Savary, plusieurs lettres de Napoléon et les récits de M. de Saint-Aignan.)