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LE RÉGIME MODERNE


mot hasardé à huis clos, pour un manque de complaisance, chacun, homme ou femme, court risque d’être exilé, interné à quarante lieues[1]. — De même, en province, les gentilshommes résidents : ils sont tenus de faire leur cour au préfet, d’être en bons termes avec lui, ou du moins d’assister à ses réceptions ; il faut qu’il puisse montrer leurs cartes sur sa cheminée[2]. Sinon, qu’ils prennent garde ; c’est lui qui rend compte a Fouché ou à Savary

    police apprenait qu’un propos railleur ou malveillant avait été tenu dans un salon de Paris, il mandait aussitôt le maître ou la maîtresse pour les avertir de mieux surveiller leur société. » — Ib., 187 (1807) : « L’Empereur reprocha à M. Fouché de n’avoir pas exercé une surveillance exacte. Il exila des femmes, fit menacer des gens distingués, et insinua que, pour éviter les suites de son courroux, il fallait du moins réparer les imprudences commises, par des démarches qui prouveraient qu’on reconnaissait sa puissance. À la suite de ces provocations, un grand nombre de personnes se crurent obligées de se faire présenter. » — Ib., II, 170, 212, 303. — Duc de Rovigo, Mémoires, IV, 311 et 393 : « Nommé ministre de la police, dit-il, j’inspirais de la frayeur à tout le monde ; chacun faisait ses paquets ; on n’entendait parler que d’exil, d’emprisonnements et pis encore. » — Il profite de cela pour engager « tout ce qui, sur son catalogue, est désigné comme ennemi du gouvernement », à se faire présenter à la cour ; et tous, en effet, sauf « les grand’mamans » opiniâtres, se font présenter.

  1. Mme de Staël, Considérations sur la Révolution française et Dix Ans d’exil. Exil de Mme de Balbi, de Mme de Chevreuse, de Mme de Duras, de Mme d’Avaux, de Mme de Staël, de Mme Récamier, etc. — Duc de Rovigo, ib., IV, 389 : « Les premiers exilés dataient de 1805 ; ils étaient, je crois, au nombre de 14. »
  2. Rœderer, III, 472 (Rapport sur la sénatorerie de Caen, 1803) : « Les nobles ne font société ni avec les citoyens, ni avec les fonctionnaires publics, sauf avec le préfet de Caen et le général de division qui y commande… Leurs liaisons avec le préfet annoncent qu’ils ont cru avoir besoin de lui. Tous rendent des devoirs au général commandant la division : sa cheminée est couverte de leurs cartes de visite. »