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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 10, 1904.djvu/288

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LE RÉGIME MODERNE


des campagnards, ne sont pas de la même espèce qu’au village. Ils lisent le journal tous les jours et sont persuadés qu’ils entendent, non seulement les affaires locales, mais encore les affaires nationales et générales, c’est-à-dire les plus hautes formules de l’économie politique, de l’histoire philosophique et du droit public, à peu près comme un maître d’école qui, parce qu’il sait les quatre règles, se croirait maître et profès dans le calcul différentiel et dans la théorie des fonctions. Du moins ils en raisonnent tout haut avec assurance, selon la tradition jacobine, eux-mêmes jacobins nouveaux, héritiers et continuateurs des anciens sectaires, de la même provenance et du même acabit, quelques-uns de bonne foi, cerveaux étroits, échauffés et offusqués par la fumée chaude des grandes phrases qu’ils récitent, la plupart simples politiciens, charlatans et intrigants, médecins ou avocats de troisième ordre, lettrés de rebut, demi-lettrés d’estaminet, parleurs de club ou de coterie, et autres ambitieux vulgaires, qui, distancés dans les carrières privées où l’on est observé de près et jugé en connaissance de cause, se lancent dans la carrière publique, parce que, dans cette lice, le suffrage populaire, arbitre ignorant, inattentif et mal informé, juge prévenu et passionné, moraliste à conscience large, au lieu d’exiger l’honorabilité intacte et la compétence prouvée, ne demande aux concurrents que le bavardage oratoire, l’habitude de se pousser en avant et de s’étaler en public, la flatterie grossière, la parade de zèle et la promesse de mettre le pouvoir que va conférer le peuple