Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 10, 1904.djvu/293

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
291
LE DÉFAUT ET LES EFFETS DU SYSTÈME


mots mal compris, sur deux ou trois phrases emphatiques et banales dont le sens échappe aux auditeurs, mais dont le son, à force d’être répété, devient pour leurs oreilles un signal reconnu, un coup de trompe ou de sifflet qui rassemble, arrête ou entraîne le troupeau. — Ce troupeau, on ne peut pas le heurter en face ; il fonce en avant par masses trop compactes et trop lourdement. Au contraire, le préfet est tenu de l’amadouer, de lui céder, de le satisfaire ; car, sous le régime du suffrage universel, ce même troupeau, outre les représentants locaux, nomme les pouvoirs du centre, les députés, le gouvernement ; si, de Paris, le gouvernement expédie un préfet en province, c’est à la façon d’une grande maison de commerce, pour y maintenir et accroître sa clientèle, pour y être l’entreteneur résident de son crédit et son commis voyageur en permanence, en d’autres termes son agent électoral, plus précisément encore l’entrepreneur en chef des prochaines élections pour le parti dominant, commissionné et appointé par les ministres en titre, stimulé incessamment, d’en haut et d’en bas, pour leur conserver les suffrages acquis et leur gagner des suffrages nouveaux. — Sans doute il doit prendre à cœur les intérêts de l’État, du département et des communes ; mais d’abord et avant tout il est un racoleur de voix. En cette qualité et sur cet article, il traite avec le conseil général et la commission permanente, avec les conseils municipaux et les maires, avec les électeurs influents, mais surtout avec le petit comité actif, qui, dans chaque