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OBJET ET MÉRITES DU SYSTÈME


sous la Terreur, de chanter et de danser autour de la déesse Raison, puis dans le temple de l’Être suprême, ayant subi, sous le Directoire, les nouveautés du calendrier républicain et l’insipidité des fêtes décadaires, ils ont mesuré, de leurs propres yeux, la distance qui sépare un dieu présent, personnel, incarné, rédempteur et sauveur, d’un dieu nul ou vague, et, dans tous les cas, absent ; une religion vivante, révélée, immémoriale, et une religion abstraite, fabriquée, improvisée ; leur culte spontané, qui est un acte de foi, et le culte imposé, qui est une parade froide ; leur prêtre, en surplis, voué à la continence, délégué d’en haut pour leur ouvrir, par delà le tombeau, les perspectives infinies du paradis ou de l’enfer, et l’officiant républicain, en écharpe municipale, Pierre ou Paul, un laïque comme eux, plus ou moins marié et bon vivant, délégué de Paris pour leur faire un cours de morale jacobine[1]. — Par ce contraste, on les a attachés à leur clergé, à tout leur clergé, régulier et séculier. Auparavant, ils n’étaient pas toujours bien disposés pour lui ; nulle part les paysans n’étaient contents de lui payer la dîme, et, dans les moines contemplatifs, oisifs et bien rentés, l’artisan, comme le paysan, ne voyait guère que des fainéants gras. En sa qualité de Gaulois, l’homme du peuple, en France, a l’imagination sèche et courte ; il n’est pas enclin à la vénération, mais bien plutôt narquois, critique, frondeur

  1. Archives nationales, F7, 7129 (Tarn, canton de Vielmur, 10 germinal an IV) : « le peuple ignorant croit aujourd’hui que patriote et brigand c’est égal. »