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LA PROPAGATION DE LA DOCTRINE


religion régnante, il se conduit en fondateur de secte, il recrute et ligue des prosélytes, il écrit des lettres d’exhortation, de prédication et de direction, il fait circuler les mots d’ordre, il donne « aux frères » une devise ; sa passion ressemble au zèle d’un apôtre et d’un prophète. — Un pareil esprit n’est pas capable de réserve ; il est par nature militant et emporté ; il apostrophe, il injurie, il improvise, il écrit sous la dictée de son impression, il se permet tous les mots, au besoin les plus crus. Il pense par explosions ; ses émotions sont des sursauts, ses images sont des étincelles ; il se lâche tout entier, il se livre au lecteur, c’est pourquoi il le prend. Impossible de lui résister, la contagion est trop forte. Créature d’air et de flamme, la plus excitable qui fut jamais, composée d’atomes plus éthérés et plus vibrants que ceux des autres hommes, il n’y en a point dont la structure mentale soit plus fine ni dont l’équilibre soit à la fois plus instable et plus juste. On peut le comparer à ces balances de précision qu’un souffle dérange, mais auprès desquelles tous les autres appareils de mesure sont inexacts et grossiers. — Dans cette balance délicate, il ne faut mettre que des poids très légers, de petits échantillons ; c’est à cette condition qu’elle pèse rigoureusement toutes les substances ; ainsi fait Voltaire, involontairement, par besoin d’esprit et pour lui-même autant que pour ses lecteurs. Une philosophie complète, une théologie en dix tomes, une science abstraite, une bibliothèque spéciale, une grande branche de l’érudition, de l’expérience ou de l’invention