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L’ANCIEN RÉGIME


viduels, avec leurs accessoires et leurs alentours dans le temps et dans l’espace, un paysan à sa charrue, un quaker dans sa congrégation, un baron allemand dans son château, des Hollandais, des Anglais, des Espagnols, des Italiens, des Français chez eux[1], une grande dame, une intrigante, des provinciaux, des soldats, des filles[2], et le reste du pèle-mêle humain, à tous les degrés de l’escalier social, chacun en raccourci et dans la lumière fuyante d’un éclair.

Car c’est là le trait le plus frappant de ce style, la rapidité prodigieuse, le défilé éblouissant et vertigineux de choses toujours nouvelles, idées, images, événements, paysages, récits, dialogues, petites peintures abréviatives, qui se suivent en courant comme dans une lanterne magique, presque aussitôt retirées que présentées par le magicien impatient qui en un clin d’œil fait le tour du monde, et qui, enchevêtrant coup sur coup l’histoire, la fable, la vérité, la fantaisie, le temps présent, le temps passé, encadre son œuvre tantôt dans une parade aussi saugrenue que celles de la foire, tantôt dans une féerie plus magnifique que toutes celles de l’Opéra. Amuser, s’amuser, « faire passer son âme par tous les modes imaginables », comme un foyer ardent où l’on jette tour à tour les substances les plus

  1. Traité de métaphysique, chap. i, I (sur les paysans). Lettres sur les Anglais, passim. — Candide, passim. — La princesse de Babylone, ch. vii, viii, ix, x et xi.
  2. Dictionnaire philosophique, articles Maladie (Réponses de la princesse). — Candide chez Mme de Parolignac, Le matelot dans le naufrage, Récit de Paquette. — L’Ingénu, premiers chapitres.