Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 2, 1910.djvu/141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
125
LA PROPAGATION DE LA DOCTRINE


« sept à huit heures du soir[1]… C’est là qu’il fallait entendre la conversation la plus libre, la plus animée et la plus instructive qui fut jamais… Point de hardiesse politique ou religieuse qui ne fût mise en avant et discutée pro et contrà… Souvent un seul y prenait la parole et proposait sa théorie paisiblement et sans être interrompu. D’autres fois c’était un combat singulier en forme, dont tout le reste de la société était tranquille spectateur. C’est là que j’ai entendu Roux et Darcet exposer leur théorie de la terre, Marmontel les excellents principes qu’il a rassemblés dans les Éléments de la Littérature, Raynal nous dire à livres, sous et deniers, le commerce des Espagnols à la Vera-Cruz et de l’Angleterre dans ses colonies », Diderot improviser sur les arts, la morale, la métaphysique, avec cette fougue incomparable, cette surabondance d’expression, ce débordement d’images et de logique, ces trouvailles de style, cette mimique qui n’appartenaient qu’à lui, et dont trois ou quatre seulement de ses écrits nous ont conservé l’image affaiblie. Au milieu d’eux le secrétaire d’ambassade de Naples, Galiani, un joli nain de génie, sorte de « Platon ou de Machiavel avec la verve et les gestes d’arlequin », inépuisable en contes, admirable bouffon, parfait sceptique, « ne croyant à rien, en rien, sur rien[2] », pas même à la philosophie nouvelle, défie les athées du salon, rabat leurs dithyrambes par des

  1. Morellet, Mémoires, I, 133.
  2. Galiani, Correspondance, passim.