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LA PROPAGATION DE LA DOCTRINE


de Beauvau, celle-ci, dont le salon est un petit club démocratique, reste suffoquée d’une familiarité si monstrueuse. Plus tard, Mirabeau, qui rentre chez lui avant voté l’abolition des titres de noblesse, saisit son valet de chambre par l’oreille et lui crie en riant de sa voix tonnante : « Ah çà ! drôle, j’espère bien que pour toi je suis toujours monsieur le comte. » — Ceci montre jusqu’à quel point, dans une tête aristocratique, les nouvelles théories sont admises. Elles occupent tout l’étage supérieur, et là elles tissent, avec un bruit joyeux, la trame de la conversation interminable ; leur bourdonnement est continu pendant tout le siècle ; jamais on n’a vu dans les salons un tel déroulement de phrases générales et de beaux mots. Il en tombe quelque chose dans l’étage inférieur, ne serait-ce que la poussière, je veux dire l’espérance, la confiance en l’avenir, la croyance à la raison, le goût de la vérité, la bonne volonté juvénile et généreuse, l’enthousiasme qui passe vite, mais qui peut s’exalter parfois jusqu’à l’abnégation et au dévouement.

IV

Suivons les progrès de la philosophie dans la haute classe. C’est la religion qui reçoit les premiers et les plus grands coups. Le petit groupe de sceptiques qu’on apercevait à peine sous Louis XIV a fait ses recrues dans l’ombre ; en 1698, la Palatine, mère du Régent, écrit déjà « qu’on ne voit presque plus maintenant un