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L’ANCIEN RÉGIME


« qu’être athée, c’est être philosophe ». Sans doute il y a beaucoup de déistes, surtout depuis Rousseau ; mais je ne crois pas que, sur cent personnes du monde, on trouve encore à Paris dix chrétiens ou chrétiennes. « Depuis dix ans[1], dit Mercier en 1783, le beau monde ne va plus à la messe ; on n’y va que le dimanche pour ne pas scandaliser les laquais, et les laquais savent qu’on n’y va que pour eux. » Le duc de Coigny[2], dans ses terres auprès d’Amiens, refuse de laisser prier pour lui, et menace son curé, s’il prend cette licence, de le faire jeter en bas de sa chaire ; son fils tombe malade, il empêche qu’on apporte les sacrements ; ce fils meurt, il interdit les obsèques et fait enterrer le corps dans son jardin ; malade lui-même, il ferme sa porte à l’évêque d’Amiens qui se présente douze fois pour le voir, et meurt comme il a vécu. — Sans doute un tel scandale est noté, c’est-à-dire rare ; presque tous et presque toutes « allient à l’indépendance des idées la convenance des formes[3] ». Quand la femme de chambre annonce : « Mme la duchesse, le bon Dieu est là, permettez-vous qu’on le fasse entrer ? Il souhaiterait avoir l’honneur de vous administrer » ; on conserve les apparences. On introduit l’importun, on est poli avec lui. Si on l’esquive, c’est sous un prétexte décent ; mais, si on lui complaît, ce n’est que par bienséance ; « à Surate, quand on meurt, on doit tenir la queue

  1. Mercier, Tableau de Paris, III, 44.
  2. Métra. Correspondance secrète, xvii, 387 (7 mars 1785).
  3. E. et J. de Goncourt, ib. 456. — Vicomtesse de Noailles, Vie de la princesse de Poix, née de Beauvau.