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L’ANCIEN RÉGIME


« moins de contestations qu’on ne pense ; cela se ferait par acclamation[1]. »

Non pas encore ; mais la semence lève. Bachaumont, en 1762, note un déluge de pamphlets, brochures et dissertations politiques, « une fureur de raisonner en matière de finance et de gouvernement ». En 1765, Walpole constate que les athées, qui tiennent alors le dé de la conversation, se déchaînent autant contre les rois que contre les prêtres. Un mot redoutable, celui de citoyen, importé par Rousseau, est entré dans le langage ordinaire, et, ce qui est décisif, les femmes s’en parent comme d’une cocarde. « Vous savez combien je suis citoyenne, écrit une jeune fille à son amie. Comme citoyenne et comme amie, pouvais-je recevoir de plus agréables nouvelles que celles de la santé de ma chère petite et de la paix[2] ? » — Autre mot non moins significatif, celui d’énergie qui, jadis ridicule, devient à la mode et se place à tout propos[3]. — Avec le langage, les sentiments sont changés, et les plus grandes dames passent à l’opposition. En 1771, dit le moqueur Besenval après l’exil du Parlement, « les assemblées de société ou de plaisir étaient devenues de petits États Généraux où les femmes, transformées en législateurs, établissaient des prémisses et débitaient avec assurance des maximes de droit public. » La Comtesse

  1. La nuit du 4 août 1789 semble prédite ici.
  2. Correspondance de Laurette de Malboissière, publiée par la marquise de la Grange (4 septembre 1762, 8 novembre 1762).
  3. Lettre de Mme du Deffand à Mme de Choiseul (citée par Geffroy. Gustave III et la cour de France, I, 279).