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LA PROPAGATION DE LA DOCTRINE


industriels et marchands, qui lui ont confié leur honneur commercial et auraient horreur de faillir par contre-coup ; derrière ceux-ci, leurs créanciers, leurs commis, leurs ouvriers, leurs proches, bref la plus grande partie de la classe laborieuse et paisible, qui jusqu’ici obéissait sans murmure et ne songeait point à contrôler le régime établi. Désormais elle va le contrôler avec attention, avec défiance, avec colère ; et malheur à ceux qu’elle prendra en faute, car elle sait qu’ils la ruinent en ruinant l’État.

III

En même temps elle a monté dans l’échelle sociale, et, par son élite, elle rejoint les plus haut placés. Jadis, entre Dorante et M. Jourdain, entre don Juan et M. Dimanche, entre M. de Sotenville lui-même et George Dandin, l’intervalle était immense : habits, logis, mœurs, caractère, point d’honneur, idées, langage, tout différait. Maintenant la distance est presque insensible. D’une part, les nobles se sont rapprochés du Tiers-état ; d’autre part, le Tiers-état s’est rapproché des nobles, et l’égalité de fait a précédé l’égalité de droit. — Aux approches de 1789, on aurait peine à les distinguer dans la rue. À la ville, les gentilshommes ne portent plus l’épée ; ils ont quitté les broderies, les galons, et se promènent en frac uni, ou courent dans un cabriolet qu’ils conduisent eux-mêmes[1]. « La simplicité des coutumes anglaises » et les usages du

  1. Ségur, I, 17.