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L’ANCIEN RÉGIME


la noblesse qui barre tous les chemins, voilà donc les sentiments qui grandissent dans la classe moyenne par le seul progrès de sa richesse et de sa culture. — Sur cette matière ainsi disposée, on devine quel sera l’effet de la philosophie nouvelle. Enfermée d’abord dans le réservoir aristocratique, la doctrine a filtré par tous les interstices comme une eau glissante, et se répand insensiblement dans tout l’étage inférieur. — Déjà en 1797, Barbier, qui est un bourgeois de l’ancienne roche et ne connaît guère que de nom la philosophie et les philosophes, écrit dans son journal : « On retranche à cent pauvres familles des rentes viagères qui les faisaient subsister, acquises avec des effets dont le roi était débiteur et dont le fonds est éteint ; on donne cinquante-six mille livres de pension à des gens qui ont été dans les grands postes où ils ont amassé des biens considérables, toujours aux dépens du peuple, et cela pour se reposer et ne rien faire[1] ». — Une à une, les idées de réforme pénètrent dans son cabinet d’avocat consultant ; il a suffi de la conversation pour les propager, et le gros sens commun n’a pas besoin de philosophie pour les admettre. « La taxe des impositions sur les biens, dit-il en 1750, doit être proportionnelle et répartie également sur tous les sujets du roi et membres de l’État, à proportion des biens que chacun possède réellement dans le royaume ;

  1. Barbier, II, 16 ; III, 255 (mai 1751). « Le roi est pillé par tous les seigneurs qui l’environnent, surtout dans tous ses voyages à ses différents châteaux, lesquels sont fréquents. » — Et septembre 1750. — Cf. Aubertin, 291, 415 (Mémoires manuscrits de Hardy.