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LE PEUPLE


« d’herbes des champs. Le premier roi de l’Europe ne peut être un grand roi s’il ne l’est que de gueux de toutes conditions, et si son royaume tourne en un vaste hôpital de mourants à qui on prend tout en pleine paix[1]. » Au plus beau temps de Fleury et dans la plus belle région de France, le paysan cache « son vin à cause des aides et son pain à cause de la taille », persuadé « qu’il est un homme perdu si l’on peut se douter qu’il ne meurt pas de faim[2] ». En 1739, d’Argenson écrit dans son journal[3] : « La disette vient d’occasionner trois soulèvements dans les provinces, à Ruffec, à Caen et à Chinon. On a assassiné sur les chemins des femmes qui portaient du pain… M. Le duc d’Orléans porta l’autre jour au conseil un morceau de pain, le mit devant la table du roi et dit : « Sire, voilà de quel pain se nourrissent aujourd’hui vos sujets… » — « Dans mon canton de Touraine, il y a déjà plus d’un an que les hommes mangent de l’herbe ». — De toutes parts la misère se rapproche ; « on en parle à Versailles plus que jamais. Le roi interrogeant l’évêque de Chartres sur l’état de ses peuples, celui-ci a répondu que la famine et la mortalité y étaient telles, que les hommes mangeaient l’herbe comme des moutons et crevaient comme des mouches ». En 1740[4], Massillon, évêque

  1. Floquet, Histoire du parlement de Normandie, VII, 402.
  2. Rousseau, Confessions, 1re partie, chap. iv (1732).
  3. Marquis d’Argenson, 19 et 24 mai, 4 juillet et 1er août 1739.
  4. Résumé de l’histoire d’Auvergne par un Auvergnat (M. Taillandier), 313.