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L’ANCIEN RÉGIME


tation, et que son adaptation produit ses bienfaits. — Cette parole n’est pas une formule nue. Un sentiment si grandiose, une divination si compréhensive et si pénétrante, une pensée par laquelle l’homme embrassant l’immensité et la profondeur des choses, dépasse de si loin les bornes ordinaires de sa condition mortelle, ressemble à une illumination : elle se change aisément en vision, elle n’est jamais loin de l’extase, elle ne peut s’exprimer que par des symboles, elle évoque les figures divines[1]. La religion est de sa nature un poème métaphysique accompagné de croyance. C’est à ce titre qu’elle est efficace et populaire ; car, sauf pour une élite imperceptible, une pure idée n’est qu’un mot vide, et la vérité, pour devenir sensible, est obligée de revêtir un corps. Il lui faut un culte, une légende, des cérémonies, afin de parler au peuple, aux femmes, aux enfants, aux simples, à tout homme engagé dans la vie pratique, à l’esprit humain lui-même dont les idées, involontairement, se traduisent en images. Grâce à cette forme palpable, elle peut jeter son poids énorme dans la conscience, contrebalancer l’égoïsme naturel, enrayer l’impulsion folle des passions brutales, emporter la volonté vers l’abnégation et le dévouement, arracher l’homme à lui-même pour le mettre tout entier au service de la vérité ou au service d’autrui, faire des ascètes et des martyrs, des sœurs de charité et des missionnaires. Ainsi, dans toute société, la religion est

  1. Voir notamment dans la littérature Brahmanique les grands poèmes métaphysiques et les Pouranas.