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L’ANCIEN RÉGIME


paresseux tombent chaque année à la charge du maître. Celui-ci peut se dire que la parcelle aliénée n’est pas perdue pour lui, puisqu’un jour, par droit de rachat, il pourra la reprendre, et puisqu’en attendant il touchera un cens, des redevances, le profit des lods et ventes. D’ailleurs, il y a chez lui et autour de lui de grands espaces vides que la décadence de la culture et la dépopulation ont laissés déserts. Pour les remettre en valeur, il faut en céder la propriété ; nul autre moyen de rattacher l’homme à la terre. — Et le gouvernement aide à l’opération : ne percevant plus rien sur le sol abandonné, il consent à retirer provisoirement sa main trop pesante. Par l’édit de 1766, une terre défrichée reste affranchie pour quinze ans de la taille d’exploitation, et, là-dessus, dans vingt-huit provinces, quatre cent mille arpents sont défrichés en trois ans[1].

Voilà comment, par degrés, le domaine seigneurial s’émiette et s’amoindrit. Vers la fin, en quantité d’endroits, sauf le château et la petite ferme attenante qui rapporte deux ou trois mille francs par an[2], le seigneur n’a plus que ses droits féodaux ; tout le reste du sol est au paysan. Déjà vers 1750, Forbonnais note que beaucoup de nobles et d’anoblis, « réduits à une pauvreté

  1. Procès-verbaux de l’assemblée provinciale de Basse Normandie (1787), 205.
  2. Léonce de Lavergne, 26 (d’après les tableaux de l’indemnité accordée aux émigrés en 1825). — Dans la terre de Blet (voir note 2 à la fin du tome Ier), vingt-deux parcelles sont aliénées en 1760. — Arthur Young, I, 308 (domaine de la Tour-d’Aigues, en Provence), et II, 198, 214. — Doniol, Histoire des classes rurales, 450. — Tocqueville, 36.